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Atelier JDE “Prison et enfermement des mineurs; le choix du tout répressif au détriment de l’éducatif”

Commission Justice
Publié le 19 sept. 2025
Justice et sécurité Éducation, Enfance et Formation Justice

Intervenant·es : Marc Hernandez - Co-responsable national SNEPES/PJJ, Jean-Claude Mas - Directeur de l'observatoire international des prisons, section française, Juliette Beigelman - Syndicat des avocats de France, Félix Delaporte - Magistrat, Syndicat de la magistrature, Animateur·ices :Christiane Lepaumier - Responsable du GT Mineurs, Guy Benarroche - Sénateur

L'enfermement des enfants n'est plus une exception. Nous glissons même vers la banalisation de la détention des mineurs, en contradiction avec l'esprit de l'ordonnance du 2 février 1945 qui privilégie l'éducatif dans la prise en charge de l'enfance délinquante. En 2002, la création des EPM et des CEF va favoriser cette politique d’enfermement. La contrôleuse des lieux privatifs de liberté conclut ainsi son rapport: “la fragilité de ces structures, destinées à accueillir des enfants eux-mêmes fragiles et soumis à des parcours chaotiques, n’a pas fait l’objet de l’attention politique nécessaire”. Cet atelier visera à questionner ces choix politiques, et à dessiner ensemble des futurs plus souhaitables.

Introduction

Un choix politique : La Coercition au détriment de l'Éducation

La France a été un modèle en matière de justice des mineurs au lendemain de la libération. En 1945, l’Administration Centrale de l'Éducation Surveillée est créée au sein du Ministère de la Justice, ce qui marque la fin de la prise en charge des mineurs par l’Administration Pénitentiaire. L’ordonnance du 2 février 1945 pose un fondement essentiel, celui de la primauté de l’éducatif sur le le répressif pour les enfants qui commettent un acte de délinquance. L’Education Surveillée s’attache alors à faire oublier les bagnes d’enfants et les maisons de correction et cherche des voies nouvelles. On abandonne progressivement les centres fermés, les grands internats implantés dans des lieux isolés au profit de structures ouvertes et mieux intégrées dans le tissu social. La Protection Judiciaire de la Jeunesse des années 1990 consacre par ce changement de nom, cette volonté d’ouverture.

2002 marque un véritable tournant dans la politique menée à l’égard de l‘enfance délinquante. C’est la création, suite aux Lois Perben, des Établissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM) et des Centres Éducatifs Fermés (CEF). Les CEF n’ont fait l’objet d’aucune analyse du devenir des mineurs à la sortie de ces lieux privatifs de liberté. Il y a un risque certain de banalisation de la mise en détention des mineurs sous-couvert d’un placement à vocation éducative. Il n’y a plus l’urgence de la sortie, la peine ou le placement peuvent s’inscrire dans la durée. Les règles de la Havane adoptées par les Nations Unies le 14 décembre 1990, pour la protection des mineurs définissent la privation de liberté comme étant : “Toute forme de détention, d’emprisonnement ou de placement, d’une personne dans un établissement public ou privé dont elle n’est pas autorisée à sortir à son gré, ordonnés par une autorité judiciaire, administrative ou autre”. La privation de liberté d’un mineur doit donc être une mesure prise en dernier recours et pour le minimum de temps nécessaire et être limitée à des cas exceptionnels. Le Conseil Constitutionnel a validé le projet de création de CEF en précisant que ceux-ci "ne peuvent pas mettre en œuvre un dispositif de coercition comparable à celui d’une prison”. Il s’agit donc plus de restriction de liberté dans les CEF et de privation de liberté en EPM.

Un rapport de la Cour des Comptes relève que les CEF et les EPM sont insuffisamment évalués alors qu’ils mobilisent des moyens importants. Avec les EPM, le projet ambitieux constituait à organiser la détention autour de l’action éducative et à engager des moyens importants afin de favoriser la réinsertion des mineurs. Domine la nécessité d’organiser la pluridisciplinarité et le “binômage”, Administration Pénitentiaire et Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ). Dans la réalité, la scolarité, les activités et le temps hors cellule font défaut dans cinq EPM sur six. Les EPM avaient vocation à terme à remplacer les quartiers pour mineurs (QM). Se superposent aujourd’hui deux logiques, orienter prioritairement en EPM les mineurs détenus avec prise en charge renforcée et d’autre part, réorienter les moyens humains de la PJJ des EPM vers les quartiers pour mineurs. 

Véronique Blanchard écrit que : « L’utopie de créer une prison pour jeunes sans les inconvénients de la prison a encore une fois échoué ». Au 1er Avril 2025 en effet, 861 mineurs sont incarcérés, dont 82% en détention provisoire. En 2021, 55% des 153 tentatives de suicides enregistrées par la PJJ ont été le fait de Mineurs Non Accompagnés. Les prises en charge psychologiques et psychiatriques deviennent une priorité pour tous ces enfants enfermés et pour ceux qui restent le plus souvent dans leur cellule. L’Administration Pénitentiaire est la seule autorité à prendre des décisions concernant les mineurs et leur prise en charge (discipline, sanctions, isolement, quartier disciplinaire, cour de promenade, cellule sans télévision). Les professionnels de la PJJ n’ont aucune autonomie de gestion dans l’action éducative prévue et leur rapports d’incidents n’influent pas sur les décisions de l’administration. Enfin, concernant les mineures en particulier, un rapport de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté explique qu'il existe peu de structures dédiées pour les mineures et que l’incarcération de jeunes filles mineures dans les quartiers de femmes majeures est contraire à la loi.

Félix Delaporte

A propos de la proposition de loi Atal sur le durcissement de la justice des mineurs, beaucoup de dispositions ont été censurées par le CC, toutefois la proposition a été largement adoptée par l’assemblée. Cela passe par une volonté générale de durcir la répression des mineurs. Aujourd’hui, avec 56 centres éducatifs fermés, il faut répondre de plus en plus vite et ce, de plus en plus fort. Pourquoi un juge met en prison un mineur? Pour mettre un coup d’arrêt, pour donner une réponse immédiate. Parmi les jeunes condamnés, 80 % sont des jeunes garçons de nationalité française, 65 % dépendent de la protection de l’enfance. Une grande partie de ces mineurs souffrent de troubles psychiatriques et sont très largement déscolarisés. Le tropisme de l’enfermement ne doit cependant pas faire oublier les autres problèmes dans ce domaine.

Juliette Beigelman

Il faut mettre en avant le primat constitutionnel de l’éducatif sur le répressif. Cela va avec une forte méconnaissance de ce que peut être un mineur en conflit avec la loi. Pour un centre éducatif fermé, il y a un cadre mais pas de contenu. Déjà que l’enfermement pour un adulte peut causer un traumatisme, ici, il s’agit d’un être en constitution. Dans l’imaginaire collectif et dans la logique actuelle, s’il n’y a pas de réponse pénale, il n’y aurait pas de réponse.

Marc Hernandez

Depuis 2002, il y a une véritable volonté politique de “contenir” physiquement. Il s’agit de répondre à la problématique de comment mettre les enfants de côté, au ban de la société. Dans les Centres éducatifs fermés, 22% des enfants sont en situation de handicap. En outre, 1/10 du personnel se trouve en arrêt maladie et il existe beaucoup de mobilité entre ces différents centres, peu de personnel reste au même endroit longtemps, ce qui rend plus difficile encore le suivi des enfants. On a créé un code couleur afin de mesurer “l’efficience” des centres éducatifs fermés. Offrent-ils réellement un cadre de stabilité pour les enfants? Parallèlement, on multiplie les centres éducatifs fermés au mépris des foyers ou EPE, c'est la réponse donnée par le politique. En interne, il y a trop d’audiencements et de rapports et pas suffisamment de suivi des jeunes.

Jean-Claude Mas 

L’observatoire international des prisons publie un rapport sur la justice des enfants. Dans les établissements pour mineurs et les quartiers pour mineurs, les enfants subissent un très fort isolement, ce que l’on appelle encore la torture blanche. De la même façon, il y a peu de personnel parmi les surveillants, par conséquent des activités, des services sont annulés. Dans ces établissements, il existe très peu de moments collectifs où les jeunes peuvent se retrouver, des moments de sociabilisation, et ce pour des raisons “de sécurité”. La politique de ces lieux a recours à l’isolement forcé. D’autres problématiques sont en jeu, la santé, le choc carcéral, les malaises, les tentatives de suicide. On constate un rapprochement du traitement des mineurs avec celui des majeurs et du milieu carcéral. Il est alors question de la “surpénalisation”. A défaut du pénal, les mineurs ont davantage besoin d’un cadre structurant.